Atteindre un extrait du Phèdre

Ateindre la caverne de Platon

PLATON (-428 vers –346) :

SA VIE :

Platon appartient à une des plus illustres familles d'Athènes ; tout le prédestinait vers une brillante carrière politique. Son nom Aristoclès est très tôt Platon, le nom que nous lui connaissons qui lui vient de la largeur de ses épaules ou de son front (de platus, large). Il aime l’érudition et particulièrement : les lettres, les mathématiques, la musique et la gymnastique.

Il fut d’abord l’élève de Cratyle, qui fut lui-même un disciple d'Héraclite (-6ème). Sa pensée se trouvera très sensibilisée (pensé Heraclite ajouter un cour s résumé. Il étudie également Parménide pour qui était seul réel l'Etre éternel.

Il réagit contre le courant sophiste qui sévit à Athènes, aux 5ème et 6ème av. JC. Il considère qu’ils malmènent la vérité et la morale. Platon rejette le paraître et souhaite aller au fond des choses, pour lui l'homme est la mesure de toutes choses

Il rencontre Socrate, en -408 ; Platon a 20 ans, Socrate 63. Socrate enseignera à Platon durant huit ans. il se produit un déclic qui le conduit à abandonner les arts pour la philosophie, néanmoins toute son œuvre sera toujours teintée de ses acquis initiaux. Son maître lui apporte, non point une doctrine, mais un type de recherche par questions et réponses, ainsi qu'un mouvement vers la sagesse. Toute sa vie, il témoignera d’une absolue vénération pour Socrate. Platon est lourdement affecté qu'Athènes puisse accuser d'impiété et condamner à mort l'homme le plus éminent de son époque. La fin tragique de Socrate marquera son œuvre et déterminera l'orientation de sa pratique philosophique.

la mort de son maître le fait douter de la politique et de la démocratie, le déçoit profondément. Platon s’exile craignant d’être inquitié pour avoir été si proche de Socrate. Il entreprend de nombreux voyages, il souhaite installer une démocratie basée sur la philosophie. A cet effet, il tente vainement de convaincre un tyran notoire de la grande Grèce (Italie du Sud). Denys l'Ancien se brouille avec lui et le fait vendre comme esclave; Platon doit son salut à un ami qui le rachète.

Vers -387, Platon revient à Athènes où il fonde une école de philosophie : " l'Académie ". La philosophie est prépondérante mais on y enseigne également les mathématiques et la gymnastique. Il est d’ailleurs inscrit sur le fronton de l’académie : " Nul n’entrera ici, s’il n’est pas géomètre ". C’est une université, on y trouve bibliothèque, salles de cours et même logements pour les étudiants.

L’Académie poursuivra son enseignement jusqu'au 6 siècle après. J.-C L'enseignement est plutôt didactique, il est dispensé sous forme de discussions et de débats d'idées ; notons que le dialogue est la forme d’écriture préférée de Platon ; ceci explique sûrement cela. Aristote est incontestablement un de ses élèves les plus brillants.

Platon compose la plus grande partie de ses ouvrages dans le cadre de l’Académie, Ses réflexions ont pour base : les Idées, la Nature, la Vérité, Dieu et le Souverain Bien.

La plupart de ses œuvres maîtresses ont pu être conservées et ses théories ont marqué toute l'histoire de la philosophie jusqu'à nos jours.

Platon retournera en Sicile pour tenter de guider le successeur de Denys l'Ancien, Denys le Jeune, vers la sagesse, sans succès. Son dernier voyage, entrepris pour sauver un de ses amis, manque lui coûter la vie. Alors il revient définitivement à Athènes où il se consacre à la philosophie jusqu'à sa mort, à l'âge de 80 ans. Néanmoins, l’acédémie lui survécu jusqu’au 6ème siècle de notre ère.

Si l'enseignement ésotérique et secret de Platon nous est inconnu, ses dialogues subsistent. On les classe habituellement en trois groupes :

 

LA PENSEE DE PLATON 

La pensée de Platon est particulièrement inspirée d’Héraclite, de Pythagore et bien évidemment de Socrate. Dans ses œuvres de jeunesse, platon nous " rappelle " que sa philosophie est avant tout Socratique, ce qui n’empêche pas Platon d’avoir ses propres points de vue . Pour Socrate la philosophie est un concept qui globalise les idées et la vie extérieure pour faire le bien.

Platon distingue l'idée du concept mais avant tout deux définitions :

Le concept est intérieur au penseur qui appréhende avec plus ou moins de précision une réalité qui n’existe pas en dehors de sa pensée.

L'idée est extérieure au penseur, elle n’est pas physique, c’est un idéal, la source du concept, elle est éternelle ; c’est la vraie réalité. C’est de là que provient " l'être " ; " l’existence " des choses dans ce monde ; c’est l’essence de tout ce qui existe en soi-même: Cet être ; cette essence est immatériel, invisible, intelligible.

 

Dans l’idée, Platon inclut les mathématiques (Platon a fréquenté les cercles Pythagoriciens et l’on retrouve ici toute l’influence des pensées de Pythagore)., on voit bien au travers de la citation du fronton de l’académie, que ce philosophe n’est pas éloigné de la géométrie. Il voit les mathématiques comme une réalité éternelle, indépendante de l’activité du mathématicien. Les mathématiques existent en elles-mêmes et en toute indépendance car leurs existences impliquent l’existence d’un contenu indépendant de la présence d’une pensée ; c’est sa définition de la conviction.

La vérité est l’essence (l’être) et l’éternité des mathématiques est l’éternité de l’être. L’essence est l’objet de la connaissance ; cette essence est nommée " Idée " du grec " idea " signifiant visible. L’essence est l’objet stable de la Science. Les essences : chacun d’entre-nous sont les idées. Les mondes de l’Idée ou monde intelligible existe à coté du monde sensible (des sens) car la manifestation existe de par le fait qu’elle participe à l’Idée. Il y a donc deux mondes :

 

Le monde intelligible possède trois caractéristiques, qui sont :

 

C’est par ses qualités de permanence, d’unité et de pureté que l’Idée (l’essence, l’être, le monde intelligible) s’élève et se distingue du monde sensible. C’est en cela que l’Idée constitue le monde de la Vraie Réalité. A partir des caractéristique du sensible et de l’intelligible, Platon nous invite à faire une distinction qui apparaît dans le tableau ci-dessous.

Ces deux mondes s’opposent :

MONDE
SENSIBLE

MONDE INTELLIGIBLE

Visible

invisible

Ephémère

Eternel

Illusion

Réel

Impur

pur

Multiple

Unique

Ne pouvant pas être objet de la vraie science car instable

Seule véritable science car stable

Imparfait

Parfait

Complexe

simple

 

La vraie cause de l’univers réside au coeur du monde intelligible qui est à la fois l’origine et la finalité. La vraie science consiste à découvrir en soi ce monde intelligible car il ne peut y avoir de vraie science que sur des bases permanentes et universelles, c’est le chemin de la philosophie. Le monde sensible, dans son flux permanent de changement ne permet pas cette vraie science ; la mouvance du monde sensible n’autorise que l’opinion (Doxa en grec) qui varie d’un individu à l’autre. L’opinion, le jugement, est un outil de comparaison qui permet d’établir des généralités incertaines parce que fondées sur nos sens. La vraie science n’intervient dans l’opinion que par l’intervention des mathématiques.

Selon Platon la vraie science ne peut être atteinte avec certitude qu’à la condition de s’élever au dessus du monde sensible par la rencontre du monde intelligible de l’Idée. Il faut dépasser les apparences notamment par les mathématiques et la réflexion intérieure. Sur ce dernier, le mythe est apte à remplir cette fonction. Le chemin de Doxa (l’opinion) vers Philos (la philosophie) s’opère par l’abandon de notre structure empirique au profit du monde des Idées placé à l’intérieur de chaque être. il donne alors une définition très précise de l’opinion : "  L’opinion est quelque chose d’intermédiaire entre le savoir et l’ignorance. Elle ne porte ni sur l’être véritable (Idée) ni sur ce qui n’est pas (le néant) mais sur quelque chose qui est intermédiaire entre l’être et le néant : ce quelque chose c’est le monde sensible " . Les hommes qui opinent sentent confusément mais ne pensent pas. " Les philodoxes sont ceux qui promènent leurs regards sur la multitude des choses belles mais n’aperçoivent pas les Idées et ne peuvent suivre celui qui les voudrait conduire à cette contemplation, qui voient la multitude des choses justes sans voir la justice même, et ainsi du reste, ceux-là opinent sur tout mais ne connaissent rien de ce sur quoi ils opinent ".

Le Bien étant la cause de toutes idées et les Idées étant la cause des choses, l’Idée du Bien est l’idée suprême, absolue perfection. En chacun d’entre-nous, il y a l’Idée mais au sommet des Idées, il y a une Idée unique présentant les qualités préalablement décrites. La vraie cause des choses est la perfection en vue de laquelle elles existent ; cette vraie cause, le Bien, est la perfection suprême commune à tous les êtres. On arrive à ce que le Bien soit la cause de L’Idée elle-même. Cette cause, " Le Bien ", a engendré le monde sensible mais lui restera toujours supérieure, supérieure aux essences, à la science, à la réalité.

Le Bien est le but de toute vie humaine et ce n’est pas dans le monde sensible que le Bien existe bien que le monde sensible provienne du Bien. Le monde sensible découle du monde intelligible qui découle lui-même de la suprême perfection (le Bien, l’Idée suprême). Donc, la conversion totale de l’homme ne peut s’effectuer que par la contemplation du Bien. " La science " suivant Platon, consiste à contempler cet objet suprême " Le Bien " et de s’unir à lui dans un état d’extase. La science est un chemin fait d’Idée en Idée, jusqu’à l’Idée du Bien dont la finalité est la fusion, l’union avec ce principe.

Cette métamorphose est à l’image du mythe de la caverne(Que nous retrouvons dans la tradition orphique) dans la République que relate le chemin de l’illusion vers la lumière mais c’est dans le Phédon que nous apprendrons à quel point l’âme est dans l’erreur lorsqu’elle s’attache aux objets sensibles et à son corollaire monde des sens. Pour découvrir, la véritable nature de monde sensible, il faut rencontrer le monde intelligible car c’est lui qui nous éclairera en tout temps et en tout lieu.

Le désir est un produit du monde sensible et son examen est un prélude nécessaire pour s’orienter vers le bien. C’est à partir du désir et de sa purification que l’homme progresse. Pour Platon :

 

L’effort philosophique consiste à réorienter le désir vers la sagesse car le désir de sagesse est le seul désir valide du point de vue de l’âme. Le désir de sagesse est la raison et lorsque seule la sagesse gouverne alors on est philosophe. Si bien, que l’on ne naît pas philosophe mais on le devient.

La philosophie est un acquis dans l’être car l’âme est immortelle, elle a déjà existé et elle existera. L’âme a la capacité de se souvenir de son état originel, elle a déjà contemplé le Bien, l’Idée. De fait, il ne s’agit pas d’un apprentissage mais de se souvenir. ; " apprendre, c’est se souvenir ". Platon dénomme cette faculté " la réminiscence " Tout comme chez Pythagore, le corps est un tombeau, une prison dont il paraît opportun de se libérer. Nous avons donc en nous toute " la science ", il s’agit de poursuivre nos progrès de mémoire pour nous libérer. Plus opaques sont les murs de la prison et plus confuses sont les réminiscences.

La méthode pour se souvenir, c’est la dialectique. Elle est de trois formes :

  1. Ascendante(anagogie) : c’est le chemin de l’opinion vers la philosophie, du monde sensible au monde intelligible, de notre idée votre l’Idée.

  2. Contemplante(la noésis, On trouve également comme terme : " Dialectique horizontale ") : C'est le sommet de la dialectique ascendante, où l'âme contemple in- tuitivement les Idées. Cela signifie évidemment que l'esprit perçoit immédiatement l'essentiel : c'est l'intuition intellectuelle.

  3. Descendante(la diairésis) : C’est le retour dans le monde sensible pour une maîtrise de celui-ci, ce mouvement est appelé " la rationalité ". Cette qualité permet de gérer le monde sensible en fonction de ce qui a été expérimenté dans le monde intelligible de l’Idée. Ainsi, la conduite de chacun se trouvant modifiée par la contemplation du Bien fait rejaillir ce bénéfice sur l’ensemble de la cité (l’humanité).

Ce mouvement de la dialectique ascension, contemplation et descente est un effort ; la libération de l’âme emprisonnée dans le corps ne s’obtient pas avec facilité et demande un investissement total. N’oublions pas qu’il s’agit de ce détachement de l’illusion du plaisir des sens même si ceux-ci servent de référants au début du chemin. Notre âme a soif de conversion, de transmutation, encore faut-il savoir de quoi est faite cette âme ; elle a trois parties et quatre vertus qui orientent le style de vie et la fonction dans la cité :

PARTIE

EPITHYMIA

NOUS

THYMOS

SIEGE

le ventre

La tête

Le cœur

CARACTE-
RISTIQUE

les plaisirs charnels(faim, soif, sexualité) ; ce que l’on peut également appeler le plaisir animal.

c’est la partie raisonnable de l’âme qui peut s’opposer le cas échéant à l’épithymia ; le Nous a pour finalité la vertu et la moralité.

il siège dans la poitrine. Il est plus proche de l’épithymia que du Nous. Sa finalité est la colère et l’irascibilité. La raison n’a pas sa place mais le Thymos peut être éduqué alors dans ce cas il s’allie au Nous. Platon donne de cette division tripartite de l'âme une version allégorique, mythique, dans un dialogue intitulé Phèdre, c'est le fameux mythe de l'attelage ailé : le Nous est le cocher d'un attelage constitué d'un cheval blanc, le tymos et d'un cheval noir, l'épithymia.

TYPE DE VIE

Attirer par la richesse et les gains

Attirer par les honneurs et les victoires

Attirer par le savoir et la sagesse

CLASSE DANS LA CITE

Les travailleurs ; ils permettent à la cité de subvenir à ses besoins

Les gouvernants dont la fonction est de diriger la cité

Les guerriers dont la fonction est de défendre la cité

VERTU

Tempérance - modération

Sagesse

Courage

La 4ème vertu est la justice en synthèse de la tempérance, de la sagesse et du courage. Cette 4ème vertu est la composante harmonique des trois autres

 

Platon prône la philosophie, certes pour que chaque être s’améliore mais aussi et surtout pour que la cité devienne meilleure. Les philosophes, le sagesse devraient gouverner plutôt que les esprits avides d’argent ou de pouvoir.

MONDE SENSIBLE

VISIBLE

MONDE INTELLIGIBLE

INVISIBLE

 

EPHEMERE

ETERNEL, SIMPLE, ABSOLU

 

DIFFERENTS

OBJETS

DE LA

CONNAIS-
SANCE

IMAGE

ombres

reflets

Première connaissance qui donne une certaine réalité des objets

OBJET

réalité elle-
même

OBJETS GEOMETRIQUES, MATHEMATIQUES

Comme ils n’ont
pas d’existence dans le monde sensible,
on doit les illustrer avec des signes conventionnels
à des fins pédagogiques

IDEE

Comme les idées
renvoient à des êtres
qui existent dans le
monde sensible,
on n’a pas besoin de convention
mais d’images

REEL

Ontologique

(Qui relève de l'être (par opposition à ontique).

FACULTES

ILLUSION

Objet sensible n’existe pas réellement

CROYANCE

Parce que la plupart ne voit pas le monde des idées

DEMONSTRATION

le mathématicien par une démarche " descendante " conclut des hypothèses aux conséquences, sans s’inquiéter du fondement des premières

DIALECTIQUE

EST

SCIENCE SUPREME, C’EST

LA CONNAISSANCE

Le dialecticien remonte des hypothèses vers leur principe (l’essence), jusqu’à atteindre, s’il le peut, ce fondement inconditionné qu’est le Bien

VRAI

Epistémologique

(Partie de la philosophie qui étudie l'histoire, les méthodes, les principes des sciences)

   

HYPOTHETIQUE

Les axiomes sont des hypothèses, qu’on ne connaît pas parce qu’ils ne sont pas démontrés.

Un critère de l’hypothèse est l’évidence, la démonstration est donc impossible

ANHYPO-
THETIQUE

(An…hypothétique là où l’hypothèse n’a pas même la possibilité d’existence)

 
 

L’OPINION(Doxa)

LA SCIENCE(la philosophie)

 
 

Elle se constitue par les informations recueillies par les sens

Plus on avance,
plus la connaissance est vraie.
La vérité c’est la dialectique
qui nous la donne et qui nous fait
connaître l’idée.

 

PHEDRE ou « La beauté des âmes » haut de page

[246] En conséquence, s'il est vrai que ce qui se meut soi-même n'est point autre chose que l'âme, il résulte de cette affirmation que nécessairement l'âme ne peut avoir ni naissance ni fin. Mais j'ai assez parlé de son immortalité. Il faut maintenant traiter de sa nature. Pour montrer ce qu'elle est, il faudrait une science absolument divine et une explication très étendue. Mais, pour se figurer ce que peut être cette âme, une science humaine et une explication plus restreinte suffisent. Nous parlerons en suivant ce dernier point de vue. Supposons donc que l'âme ressemble aux forces combinées d'un attelage ailé et d'un cocher. Tous les chevaux et les cochers des dieux sont bons et de bonne race ; ceux des autres êtres sont formés d'un mélange. Chez nous d'abord, le chef de l'attelage dirige deux chevaux ; en outre, si l'un des coursiers est beau, bon et de race excellente, l'autre, par sa nature et par son origine, est le contraire du premier. Nécessairement donc la conduite de notre attelage est difficile et pénible. Mais pour quelle raison, un être vivant est-il donc désigné, tantôt comme mortel, tantôt comme immortel : c'est ce qu'il faut essayer d'expliquer. Tout ce qui est âme prend soin de tout ce qui est sans âme, fait le tour du ciel tout entier et se manifeste tantôt sous une forme et tantôt sous une autre. Quand elle est parfaite et ailée, elle parcourt les espaces célestes et gouverne le monde tout entier. Quand elle a perdu ses ailes, elle est emportée jusqu'à ce qu'elle s'attache à quelque chose de solide ; là, elle établit sa demeure, prend un corps terrestre et paraît, par la force qu'elle lui communique, faire que ce corps se meuve de lui-même. Cet ensemble, composé et d'une âme et d'un corps, est appelé être vivant et qualifié de mortel par surnom. Quant au nom d'immortel, il ne peut être défini par aucun raisonnement raisonné ; mais, dans l'impossibilité où nous sommes de voir et de connaître exactement Dieu, nous nous l'imaginons comme un être immortel ayant une âme et possédant un corps, éternellement l'un à l'autre attachés. Toutefois, qu'il en soit de ces choses et qu'on en parle ainsi qu'il plaît à Dieu ! Recherchons, quant à nous, la cause qui fait que l'âme perd ses ailes et les laisse tomber. Elle est telle que voici. La force de l'aile est par nature de pouvoir élever et conduire ce qui est pesant vers les hauteurs où habite la race des dieux. De toutes les choses attenantes au corps, ce sont les ailes qui le plus participent à ce qui est divin. Or ce qui est divin, c'est le beau, le sage, le bon et tout ce qui est tel. Ce sont ces qualités qui nourrissent et fortifient le mieux l'appareil ailé de l'âme, tandis que leurs contraires, le mauvais et le laid, le consument et le perdent. Le grand chef, Zeus, s'avance le premier dans le ciel en conduisant son char ailé ; il règle tout, veille sur tout. Derrière lui, s'avance l'armée des dieux et des génies disposée en onze cohortes. Hestia, seule, reste dans le palais des dieux.

[249] Aucune âme d'ailleurs ne retourne avant dix mille années au point d'où elle était partie ; car, avant ce temps, elle ne recouvre pas ses ailes, à moins qu'elle n'ait été l'âme d'un philosophe loyal ou celle d'un homme épris pour les jeunes gens d'un amour que dirige la philosophie. Alors, au troisième retour de mille ans, si elles ont trois fois successivement mené la même vie, elles recouvrent leurs ailes et s'en retournent après la trois millième année vers les dieux. Quant aux autres âmes, lorsqu'elles ont achevé leur première existence, elles subissent un jugement. Une fois jugées, les unes vont dans les prisons qui sont sous terre, s'acquitter de leur peine ; les autres, allégées par l'arrêt de leur juge, se rendent en un certain endroit du ciel où elles mènent la vie qu'elles ont méritée, tandis qu'elles vivaient sous une forme humaine. Au bout de mille ans, les unes et les autres reviennent se désigner et se choisir une nouvelle existence ; elles choisissent le genre de vie qui peut plaire à chacune. Alors l'âme humaine peut entrer dans la vie d'une bête, et l'âme d'une bête, pourvu qu'elle ait été celle d'un homme jadis, peut animer un homme de nouveau, car l'âme qui jamais n'a vu la vérité ne saurait s'attacher à une forme humaine. Pour être homme, en effet, il faut avoir le sens du général, sens grâce auquel l'homme peut, partant de la multiplicité des sensations, les ramener à l'unité par le raisonnement. Or cette faculté est une réminiscence de tout ce que jadis a vu notre âme quand, faisant route avec Dieu et regardant de haut ce qu'ici-bas nous appelons des êtres, elle dressait sa tête pour contempler l'Être réel. Voilà pourquoi il est juste que seule la pensée du philosophe ait des ailes ; elle ne cesse pas, en effet, de se ressouvenir selon ses forces des choses mêmes qui font que Dieu même est divin. L'homme qui sait bien se servir de ces réminiscences, initié sans cesse aux initiations les plus parfaites, devient seul véritablement parfait. Affranchi des préoccupations humaines, [249d] attaché au divin, il est considéré comme un fou par la foule, et la foule ne voit pas que c'est un inspiré.

C'est ici qu'en voulait venir tout ce discours sur la quatrième espèce de délire. Quand un homme, apercevant la beauté d'ici-bas, se ressouvient de la beauté véritable, son âme alors prend des ailes, et, les sentant battre, désire s'envoler. Impuissante, elle porte comme un oiseau ses regards vers le ciel, néglige les sollicitudes terrestres, et se fait accuser de folie. Mais ce transport qui l'élève est en lui-même et dans ses causes excellentes le meilleur des transports, et pour celui qui le possède et pour celui auquel il se communique. Cet homme que ce délire possède, aimant la beauté dans les jeunes garçons, reçoit le nom d'amant. Effectivement, comme nous l'avons dit, toute âme humaine a par nature contemplé les êtres véritables ; elle ne serait point entrée sans cela dans le corps d'un humain.

La Caverne de Platon (extrait de la République - Livre VII) haut de page

SOCRATE (S) - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu'elle a été instruite ou ne l'a pas été, sous des traits de ce genre: imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière: ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu'ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d'un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux; et entre le feu et les prisonniers s'élève un chemin en travers duquel imagine qu'un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.

GLAUCON (G) - Je vois.

S. - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d'objets qui dépassent le mur; des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, faites de toutes sortes de matériaux; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d'autres qui se taisent.

G. - Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers.

S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d'eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face?

G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s'ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie?

S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu'il n'en sera pas de même?

G. - Bien sûr.

S. - Mais, dans ces conditions, s'ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu'ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu'ils voient?

G. - Nécessairement.

S. - Et s'il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face? Chaque fois que l'un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l'ombre qui passe devant eux?

G. - Ma foi non.

S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.

G. - De toute nécessité.

S. - Envisage maintenant ce qu'ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être guéris de leur ignorance, si cela leur arrivait, tout naturellement, comme suit: si l'un d'eux était délivré et forcé soudain de se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la lumière; s'il souffrait de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de regarder les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu'il répondrait si on lui disait que jusqu'alors il n'a vu que des futilités mais que, maintenant, plus près de la réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit plus juste; lorsque, enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l'obligerait à force de questions à dire ce que c'est, ne penses-tu pas qu'il serait embarrassé et trouverait que ce qu'il voyait auparavant était plus véritable que ce qu'on lui montre maintenant?

G. - Beaucoup plus véritable.

S. - Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu'il aurait mal aux yeux, qu'il la fuirait pour se retourner vers les choses qu'il peut voir et les trouverait vraiment plus distinctes que celles qu'on lui montre?

G. - Si.

S. - Mais si on le traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et qu'on ne le lâchât pas avant de l'avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu'il souffrirait et s'indignerait d'être ainsi traîné; et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables?

G. - Non, du moins pas sur le champ.

S. - Il aurait, je pense, besoin de s'habituer pour être en mesure de voir le monde d'en haut. Ce qu'il regarderait le plus facilement d'abord, ce sont les ombres, puis les reflets des hommes et des autres êtres sur l'eau, et enfin les êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait plus facilement pendant la nuit les objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux vers la lumière des étoiles et de la lune - qu'il ne contemplerait, de jour, le soleil et la lumière du soleil.

G. - Certainement.

S. - Finalement, je pense, c'est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou ailleurs, mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourrait voir et contempler tel qu'il est.

G. - Nécessairement.

S. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c'est lui qui produit les saisons et les années, qu'il gouverne tout dans le monde visible, et qu'il est la cause, d'une certaine manière, de tout ce que lui-même et les autres voyaient dans la caverne.

G. - Après cela, il est évident que c'est à cette conclusion qu'il en viendrait.

S. - Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est en honneur, de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu'il serait heureux de son changement et qu'il plaindrait les autres?

G. - Certainement.

S. - Et les honneurs et les louanges qu'on pouvait s'y décerner mutuellement, et les récompenses qu'on accordait à qui distinguait avec le plus de précision les ombres qui se présentaient, à qui se rappelait le mieux celles qui avaient l'habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble, et à qui était le plus capable, à partir de ces observations, de présager ce qui devait arriver: crois-tu qu'il les envierait? Crois-tu qu'il serait jaloux de ceux qui ont acquis honneur et puissance auprès des autres, et ne préférerait-il pas de loin endurer ce que dit Homère: "être un valet de ferme au service d'un paysan pauvre", plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait.

G. - Oui, je pense qu'il accepterait de tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait.

S. - Et réfléchis à ceci: si un tel homme redescend et se rassied à la même place, est-ce qu'il n'aurait pas les yeux offusqués par l'obscurité en venant brusquement du soleil?

G. - Si, tout à fait.

S. - Et s'il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser avec ces hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est trouble avant que ses yeux soient remis - cette réaccoutumance exigeant un certain délai - ne prêterait-il pas à rire, ne dirait-on pas à son propos que pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés et qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer d'y monter; et celui qui s'aviserait de les délier et de les emmener là-haut, celui-là s'ils pouvaient s'en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas?

G. - Certainement.

2) Les mouvements ascendant et descendant du philosophe

S. - Ce tableau, il faut l'appliquer entièrement à ce qu'on a dit auparavant: en assimilant le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu au rayonnement du soleil. Et si tu poses que la montée et la contemplation des réalités d'en haut représentent l'ascension de l'âme vers le monde intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître; et Dieu sais si elle est vraie. Voici comment les choses se présentent pour moi: à l'extrémité du monde intelligible, est l'idée du Bien, qui peut à peine être contemplée mais qu'on ne peut voir sans conclure qu'elle est bien la cause de tout ce qu'il y a de rectitude et de beauté dans le monde: dans le monde visible, elle engendre la lumière et sa source souveraine, et dans le monde intelligible, souveraine, elle dispense intelligence et vérité; et c'est elle qu'il faut contempler pour agir sagement dans la vie privée comme dans la vie publique.

G. - Je suis de ton avis, autant que je puis te suivre.

S. - Allez, suis-moi encore sur ce point: ne t'étonne pas si ceux qui sont arrivés jusque là ne veulent plus conduire les affaires humaines et si leurs âmes sont impatientes de rester toujours à cette hauteur. Ce qui est bien naturel si l'on se rapporte à notre allégorie de tout à l'heure.

G. - Oui, c'est naturel.

S. - Mais quoi! Penses-tu qu'il soit étonnant que passant des contemplations divines aux misérables visions humaines, on soit maladroit et paraisse tout à fait ridicule quand, la vue encore troublée, avant de s'être habitué à l'obscurité environnante, on est obligé d'entrer en dispute devant les tribunaux ou ailleurs sur les ombres de justice ou sur les images qui projettent ces ombres et de s'escrimer avec acharnement contre l'interprétation de ceux qui n'ont jamais vu la justice elle-même.

G. - Ce n'est pas du tout étonnant.

S. - Un homme sensé se rappellera qu'il y a deux sortes de troubles de la vue, dus à deux causes différentes: le passage de la lumière à l'obscurité et le passage de l'obscurité à la lumière. Songeant que ceci vaut également pour l'âme, quand on verra une âme troublée et incapable de discerner quelque chose, on se demandera si venant d'une existence plus lumineuse, elle est aveuglée faute d'habitude, ou si, passant d'une plus grande ignorance à une existence plus lumineuse, elle est éblouie par son trop vif éclat. Dans le premier cas, alors, on se réjouirait de son état et de l'existence qu'elle mène; dans le second cas on la plaindrait, et si l'on voulait en rire, la raillerie serait moins ridicule que si elle s'adressait à l'âme qui redescend de la lumière.

G. - C'est parler avec beaucoup de justesse.

3) L'éducation

S. - Il faut, si tout cela est vrai, penser alors ceci: que l'éducation n'est pas ce que certains prétendent qu'elle est. Ils disent l'introduire dans l'âme où elle n'est point, comme ils introduiraient la vue dans des yeux aveugles.

G. - Ils le disent.

S. - Or notre discussion nous fait voir que cette faculté d'apprendre et l'organe à cet usage résident dans l'âme de chacun et que, semblable à des yeux qui ne pourraient se détourner de l'obscurité vers la lumière qu'avec le corps tout entier, l'organe de l'intelligence doit se détourner du devenir avec l'âme toute entière jusqu'à ce qu'il soit capable de contempler l'être et ce qui, de l'être, est le plus lumineux: ce que nous avons appelé le Bien, n'est-ce pas?

G. - Oui.

S. - Pour cela, pour cette conversion, tout l'art consiste à faire tourner cet organe de la manière la plus aisée et la plus efficace: il ne s'agit pas de lui procurer la vue - il l'a déjà - mais comme il n'est pas correctement tourné et qu'il ne regarde pas là où il faudrait, de tout faire pour qu'il y parvienne.

G. - C'est ce qu'il semble.

S. - Ce qu'autrement on appelle vertus de l'âme risque bien de ressembler aux vertus du corps: si elles sont effectivement en nous au départ, ensuite c'est par les habitudes et les exercices qu'elles se développent. Mais la vertu de la réflexion se trouve, semble-t-il, appartenir à quelque chose de plus divin, qui ne perd jamais son pouvoir mais qui, selon son orientation devient soit utile et avantageuse, soit au contraire inutile et nuisible. N'as-tu pas encore remarqué chez ceux qu'on dit à la fois mauvais et rusés, l'acuité du regard de leur âme mesquine, la pénétration avec laquelle elle discerne les objets vers lesquels elle tourne son attention: elle n'a pas la vue faible, mais elle est poussée à la mettre au service de sa méchanceté; aussi plus a-t-elle la vue pénétrante, plus fait-elle de mal.

G. - Très juste.

S. - Et pourtant si on élaguait l'âme d'une telle nature et qu'on coupât dès l'enfance ces masses de plomb apparentées au devenir (excroissances que nourritures, plaisirs, délices, ont greffées sur elle et qui tournent la vue de l'âme vers le bas), si, débarrassée de ce poids, elle se tournait vers les véritables réalités, la même âme des mêmes hommes verrait celles-ci avec la même pénétration que les objets vers lesquels elle est à présent tournée.

G. - C'est vraisemblable.

S. - Mais quoi? N'est-il pas vraisemblable, et n'est-ce pas une conséquence nécessaire de ce que nous avons dit que ni ceux qui n'ont reçu aucune instruction et qui sont ignorants de la vérité, ni ceux non plus qu'on a laissé passer toute leur vie à s'instruire ne sont propres à gouverner une cité; les uns parce qu'ils n'ont aucun but vers lequel il leur faille tendre dans tous leurs actes privés ou publics, les autres parce qu'ils ne consentiront pas à s'en occuper, pensant être établis, de leur vivant même, dans les îles des Bienheureux.

G. - C'est vrai.

4) La responsabilité politique du philosophe

S. - Notre œuvre de fondateurs est d'obliger les meilleures natures d'aborder cette science que nous avons reconnue comme la plus haute: voir le Bien et gravir cette pente dont nous avons parlé; et lorsqu'ils l'auront gravie, et qu'ils auront contemplé le Bien assez longtemps, gardons-nous de leur permettre ce qu'on leur permet aujourd'hui.

G. - Quoi donc?

S. - D'y rester et de ne plus vouloir redescendre auprès de nos prisonniers et prendre part à leurs travaux et à leurs honneurs, qu'ils soient méprisables ou estimables.

G. - Mais est-ce que nous ne serions pas injustes à leur égard et ne leur procurerions pas une vie de moindre valeur quand il leur serait possible d'en avoir une meilleure?

S. - Tu oublies à nouveau, mon cher, que la loi ne se préoccupe pas d'assurer de manière privilégiée le bonheur d'une seule classe, mais s'emploie à le réaliser dans l'ensemble de la Cité, en unissant les citoyens par la persuasion et la contrainte, les amenant à échanger entre eux les services que chacun est en mesure de rendre à la communauté; et que si elle s'applique à former de pareils citoyens dans la Cité, ce n'est pas pour les laisser libres de se tourner chacun vers ce qui lui plaît, mais pour les faire travailler ensemble à la cohésion de la Cité.

G. - C'est vrai, je l'avais en effet oublié.

S. - Observe donc que nous ne serons pas injustes à l'égard de ceux qui sont devenus philosophes chez nous; nous leur invoquerons de justes raisons pour les obliger de se charger de la conduite et de la garde des autres. Nous leur dirons, en effet, que ceux qui sont devenus des philosophes comme eux dans les autres cités ont raison de ne pas prendre part aux charges de la politique. Car ils se forment eux-mêmes, en dépit de leur gouvernement respectif, et il est juste que ce qui se forme soi-même et ne doit à personne le soin de son éducation, ne soit redevable à qui que ce soit du bienfait de son éducation. Mais nous, nous vous avons formés pour être pour vous-même et pour le reste de la Cité comme des reines et des gardiennes dans des essaims d'abeilles, après vous avoir donné une éducation meilleure et plus achevée que celle qu'ont reçue les autres philosophes, et après vous avoir rendus plus capables qu'eux de prendre part à l'une et l'autre occupation. Il faut donc redescendre dans la demeure de nos concitoyens et vous habituer à observer les ombres obscures; une fois que vous y serez habitués, vous verrez mille fois mieux que les autres et vous reconnaîtrez chaque image, ce qu'est et ce dont elle est le reflet, pour avoir vu les véritables réalités qui ont trait à ce qui est beau, juste, bien. Et ainsi pour nous comme pour vous la Cité deviendra une réalité et non un rêve comme le sont les autres cités où les gouvernants se battent pour des ombres et se disputent pour le pouvoir, comme s'il s'agissait d'un grand bien. Mais voici quelle est la vérité: la Cité où ceux qui doivent détenir le pouvoir sont le moins désireux du pouvoir est nécessairement celle qui est la mieux et la plus paisiblement dirigée; ce sera le contraire pour celle dont les dirigeants sont de nature contraire.

G. - C'est très vrai.

S. - Ceux que nous avons élevés à la philosophie, en nous entendant, résisteront-ils à nos raisons? Ne voudront-ils pas se partager chacun, à tour de rôle, les charges de la politique, et puis passer la plus grande partie de leur temps, ensemble, dans le pur séjour des Idées?

G. - Impossible qu'ils refusent. Car ce sont des choses justes que nous demandons à des êtres justes. Et, surtout, chacun d'eux n'ira au pouvoir que par nécessité, contrairement aux dirigeants actuels dans toutes les cités.

S. - C'est ainsi, en effet, mon cher. Si tu trouves une vie meilleure que l'exercice du pouvoir pour ceux qui doivent être au pouvoir, tu auras une cité susceptible d'être bien gouvernée. Car c'est dans cette cité seule que dirigeront ceux qui sont réellement riches, non d'or, mais de ce dont il faut être riche pour être heureux, de vie bonne et sage. Mais si des mendiants, des gens avides de biens privés viennent aux affaires publiques avec l'idée que c'est là qu'ils vont ravir du bien, il n'y a pas de cité bien gouvernée: le pouvoir est l'enjeu de rivalités et c'est une guerre fratricide et intestine qui les perd et, avec eux, le reste de la Cité.

G. - Rien de plus vrai.

S. - Connais-tu une vie qui inspire le mépris de la politique en dehors de celle de la véritable philosophie?

G. - Non, par Zeus.

S. - Mais ce n'est pas en amoureux du pouvoir qu'il faut s'en approcher; sinon la rivalité fera naître des querelles entre les prétendants.

G. - Inévitablement.

S. - Qui contraindras-tu d'aller assurer la garde de la Cité sinon ceux qui sont les plus instruits sur les moyens de gouverner pour le mieux une cité, et qui ont d'autres honneurs et une vie préférable à celle de l'homme politique?

G. - Aucun autre.(...)

4) Épilogue

S. - Il serait de bon goût, mon cher Glaucon, de faire une loi: elle inviterait les futurs sommités de l'État à entrer en calcul. Ils n'y toucheraient pas seulement de façon banale, mais ils pousseraient suffisamment pour atteindre à la contemplation des nombres dans leur essence, grâce au pur exercice spirituel. L'objectif ne serait plus l'échange commercial, où négociants et brocanteurs exercent leur activité; le but serait la guerre, le but serait l'âme elle-même, pour faciliter sa conversion du devenir vers la vérité et la sphère de l'exister. (...) la discipline du calcul peut nous rendre en fonction de notre projet toute une gamme de services (...) elle est d'une grande efficacité pour guider l'âme dans son ascension, pour lui proposer les nombres en eux-mêmes avec l'obligation d'en parcourir les raisons, sans admettre que les nombres compromis par un biais quelconque avec un objet matériel de la vue ou du toucher, puissent servir de soutient au raisonnement (...) il ne faut pas que l'unité, au lieu de l'unité, soit perçue comme une infinité de morceaux. (525 d)

G. - C'est très vrai.(...)

S. - La méthode dialectique est donc la seule qui, rejetant les hypothèses, s'élève jusqu'au principe même pour établir solidement ses conclusions, et qui, vraiment, tire peu à peu l’œil de l'âme de la fange grossière où il est plongé et l'élève vers la région supérieure (...) Il suffira donc d'appeler science la première division de la connaissance, pensée discursive la seconde, foi la troisième, et imagination la quatrième; de comprendre ces deux dernières sous le nom d'opinion, et les deux premières sous celui d'intelligence, l'opinion ayant pour objet la génération, et l'intelligence l'essence; et d'ajouter que ce qu'est l'essence par rapport à la génération, l'intelligence l'est par rapport à l'opinion, la science par rapport à la foi, et la connaissance discursive par rapport à l'imagination... (534 a)